Module 6 - Procédure de Déclaration de Soupçon

Introduction à l'obligation de déclaration de soupçon

Une obligation légale fondamentale pour les comptables dans le dispositif préventif belge de lutte contre le blanchiment de capitaux.

Une responsabilité professionnelle qui engage le comptable dans la protection du système financier.

Dernière ligne de défense après la détection et l'analyse des opérations atypiques.

Positionnement de la déclaration de soupçon dans le processus anti-blanchiment

Vigilance client
Détection opérations atypiques
Analyse approfondie
Déclaration de soupçon

Cadre légal de la déclaration

Les articles 47 à 54 de la loi du 18 septembre 2017 définissent précisément :

Article 47

Obligation de déclarer les fonds, opérations ou faits suspects à la CTIF lorsqu'il existe un soupçon de blanchiment ou de financement du terrorisme.

Article 48

Obligation de déclarer également les fonds liés à la fraude fiscale grave, organisée ou non.

Articles 49-50

Communication des informations complémentaires à la CTIF et délais de réponse.

Articles 52-54

Interdiction d'informer le client et autres tiers de l'existence d'une déclaration (tipping-off).

Particularité pour les comptables (art. 52) :

Le comptable qui tente de dissuader un client de prendre part à une activité illégale n'est pas considéré comme informant le client d'une déclaration.

Critères pour décider de déclarer

La décision de déclarer doit reposer sur un soupçon raisonnable, basé sur une analyse objective des faits et circonstances :

Soupçon : une présomption non confirmée, mais suffisamment étayée

Pas besoin de certitude ou de preuve, mais pas une simple intuition non fondée.

Raisonnable : basé sur des critères objectifs

Une personne placée dans les mêmes circonstances et disposant des mêmes informations aurait les mêmes doutes.

Critères objectifs à considérer :

  • Présence d'indicateurs d'alerte multiples ou significatifs
  • Absence d'explication économique ou licite satisfaisante fournie par le client
  • Contradiction entre l'opération et le profil du client
  • Caractère inhabituel, complexe ou non justifié de l'opération
  • Présence d'un lien avec des pays/territoires à risque élevé
  • Lien avec des typologies connues de blanchiment

En cas de doute, privilégiez la déclaration.

La loi protège le déclarant de bonne foi, même si l'analyse se révèle finalement non fondée.

Contenu d'une déclaration de soupçon à la CTIF

Une déclaration complète et précise doit contenir les éléments suivants :

1. Identification du déclarant

  • Identité du professionnel
  • Coordonnées complètes
  • Numéro d'inscription à l'ITAA

2. Identification du client

  • Identité complète
  • Adresse et coordonnées
  • Numéro d'entreprise (si applicable)

3. Identification des opérations

  • Nature et description des opérations
  • Montants, dates et devises
  • Comptes et parties impliqués

4. Description du soupçon

  • Indicateurs d'alerte relevés
  • Analyse réalisée
  • Raisons du soupçon

Documents à joindre

  • Extraits de compte pertinents
  • Copies des factures suspectes
  • Statuts de sociétés impliquées
  • Documents d'identification
  • Contrats ou conventions
  • Tout document probant

Important :

La déclaration doit être factuelle, précise et étayée. Évitez les suppositions non fondées ou les jugements de valeur.

Modalités pratiques de déclaration

Procédure de déclaration en ligne (recommandée)

Utilisation du système sécurisé ORIS

  1. Création d'un compte sur la plateforme ORIS de la CTIF
  2. Authentification via carte d'identité électronique ou itsme®
  3. Remplissage du formulaire électronique
  4. Téléchargement des pièces justificatives
  5. Validation et envoi sécurisé

Avantages : sécurité renforcée, accusé de réception automatique, suivi facilité

Autres modalités (exceptionnelles)

Par télécopie

Uniquement en cas d'impossibilité technique d'utiliser ORIS

Numéro : +32 (0)2 533 58 47

Par courrier recommandé

En dernier recours, avec mention "CONFIDENTIEL" sur l'enveloppe

Adresse : CTIF, Avenue de la Toison d'Or 55, boîte 1, 1060 Bruxelles

Délais de déclaration

Principe général : Préalablement à l'exécution de l'opération

Si impossible : Immédiatement après l'exécution de l'opération

En cas de demande de la CTIF : Dans le délai qu'elle détermine

Protection du déclarant et confidentialité

La loi du 18 septembre 2017 prévoit plusieurs garanties pour protéger les déclarants :

Immunité judiciaire

Aucune action civile, pénale ou disciplinaire ne peut être intentée contre le professionnel qui a procédé de bonne foi à une déclaration (article 57).

Anonymat garanti

L'identité du déclarant n'est pas communiquée par la CTIF lors de la transmission au procureur ou aux autorités (article 58).

Protection contre les menaces

Mesures de protection spécifiques contre les menaces ou actes hostiles liés à une déclaration (article 59).

Interdiction d'informer

Interdiction d'informer le client ou des tiers qu'une déclaration a été effectuée (article 55), pour protéger l'enquête et le déclarant.

Limites à l'interdiction d'informer (article 56)

L'interdiction ne s'applique pas à la communication :

  • Aux autorités de contrôle
  • Au sein d'un même réseau ou groupement professionnel
  • Entre professionnels d'un État membre de l'UE ou équivalent, lorsqu'ils interviennent sur un même client

Attention :

Ces protections ne s'appliquent qu'aux déclarations faites de bonne foi. Une utilisation abusive du mécanisme de déclaration pourrait engager votre responsabilité.

Suivi post-déclaration et communication avec la CTIF

Réception et traitement par la CTIF

Accusé de réception

Confirmation automatique

Analyse par la CTIF

Enquête approfondie

Décision

Classement ou transmission

Communication de la CTIF vers le déclarant

  • Accusé de réception de la déclaration

  • Demandes d'informations complémentaires éventuelles

  • Information sur la transmission au procureur du Roi ou au procureur fédéral (le cas échéant)

  • Pas d'information sur le classement sans suite

  • Pas de détails sur l'enquête en cours

Communication du déclarant vers la CTIF

  • Informations complémentaires sur demande de la CTIF

  • Communication spontanée de nouvelles informations pertinentes

  • Nouvelles déclarations concernant le même client, si nécessaire

  • Information sur l'éventuelle fin de la relation d'affaires avec le client

Important :

Conservez une trace de toutes vos communications avec la CTIF et respectez scrupuleusement les délais imposés pour la communication d'informations complémentaires.

Obligations après une déclaration

Après avoir effectué une déclaration de soupçon, plusieurs obligations s'imposent au comptable :

Vigilance accrue

  • Surveillance renforcée de toutes les opérations du client
  • Examen plus approfondi des documents et justificatifs
  • Fréquence accrue des contrôles et vérifications
  • Documentation détaillée des contrôles effectués

Réévaluation du risque client

  • Mise à jour immédiate de l'évaluation des risques
  • Classement en risque élevé
  • Réexamen de l'ensemble de la relation d'affaires
  • Documentation de cette réévaluation

Conservation des documents

  • Conservation de la déclaration et des documents associés
  • Conservation des échanges avec la CTIF
  • Durée : 10 ans à partir de la fin de la relation
  • Confidentialité renforcée de ces documents

Décision sur la poursuite de la relation

  • Évaluation du maintien ou non de la relation d'affaires
  • Consultation du responsable anti-blanchiment (AMLCO)
  • Documentation de la décision prise
  • Information de la CTIF en cas de rupture de la relation

Cas particulier : Rupture de la relation client

Points d'attention :

  • Éviter d'informer le client du motif réel (déclaration)
  • Invoquer des motifs neutres et crédibles
  • Respecter les préavis contractuels
  • Informer la CTIF de la rupture

Risques à éviter :

  • Rupture brutale et non justifiée
  • Interruption du suivi pendant l'opération suspecte
  • Transmission d'informations à un nouveau comptable
  • Divulgation indirecte de l'existence d'une déclaration