Cadre légal et bonnes pratiques pour les comptables belges
La déclaration de soupçon constitue un élément clé du dispositif anti-blanchiment en Belgique. Pour garantir l'efficacité de ce mécanisme et protéger les professionnels qui l'utilisent, le législateur a mis en place des dispositions spécifiques concernant la confidentialité des déclarations et la protection des déclarants.
Ce guide a pour objectif d'expliquer de manière claire et précise :
La confidentialité d'une déclaration de soupçon est essentielle à plusieurs titres :
L'article 55 de la loi du 18 septembre 2017 établit une obligation stricte de confidentialité concernant les déclarations de soupçon adressées à la CTIF (Cellule de Traitement des Informations Financières).
"Les entités assujetties, les membres de leurs organes et leur personnel, ainsi que le Bâtonnier visé à l'article 52, ne peuvent porter à la connaissance du client concerné ou de tiers que des informations ont été transmises à la CTIF en application des articles 47, 48, 54 ou 66, § 2, alinéa 3, ou qu'une analyse pour blanchiment de capitaux ou pour financement du terrorisme est en cours ou pourrait être ouverte."
Cette obligation s'applique à :
L'obligation de confidentialité couvre :
La violation de cette obligation de confidentialité est susceptible d'entraîner des sanctions administratives pouvant aller jusqu'à 1.250.000 euros pour les professionnels du chiffre.
L'interdiction d'informer le client qu'une déclaration a été effectuée à son sujet est connue sous le terme de "tipping-off". Cette interdiction est absolue et ne souffre que de très rares exceptions.
Cette interdiction vise à :
L'interdiction s'étend à :
Dans la pratique, cela signifie que le comptable doit maintenir une attitude normale vis-à-vis du client après avoir effectué une déclaration, sans changer de comportement d'une manière qui pourrait éveiller les soupçons du client.
Comportements à éviter | Comportements recommandés |
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La loi du 18 septembre 2017 prévoit quelques exceptions limitées à l'interdiction d'informer le client, définies à l'article 56.
"§ 1. L'interdiction énoncée à l'article 55 ne s'applique ni à la divulgation aux autorités de contrôle compétentes en vertu de l'article 85, ni à la divulgation à des fins répressives."
"§ 2. L'interdiction énoncée à l'article 55 ne s'applique pas à la divulgation d'informations :"
"1° entre les établissements de crédit et les établissements financiers, visés à l'article 2, paragraphe 1er, points 1) et 2), de la Directive 2015/849, établis dans un État membre, lorsque ces établissements appartiennent à un même groupe ;"
"2° entre les établissements visés au 1°, leurs succursales et leurs filiales détenues majoritairement situées dans des pays tiers, à condition que ces succursales et filiales respectent pleinement les politiques et procédures définies à l'échelle du groupe conformément à l'article 45 de la Directive 2015/849, y compris les procédures en matière de partage d'informations au sein du groupe, et que les politiques et procédures définies à l'échelle du groupe respectent les exigences prévues dans ladite directive ;"
"3° entre les personnes visées à l'article 2, paragraphe 1er, point 3), a) et b), de la Directive 2015/849, établies dans un État membre ou des personnes établies dans un pays tiers qui imposent des obligations équivalentes à celles prévues par la Directive précitée, lorsqu'elles exercent leurs activités professionnelles, salariées ou non, dans la même personne morale ou dans une structure plus large à laquelle la personne appartient et qui partage une propriété, une gestion ou un contrôle du respect des obligations communs ;"
Pour les experts-comptables et conseils fiscaux, les principales exceptions sont :
Même dans le cadre de ces exceptions, la plus grande prudence reste de mise. L'information ne doit être partagée qu'avec les personnes qui ont un besoin légitime d'en connaître et uniquement dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de leurs obligations professionnelles.
Ces exceptions doivent être interprétées de manière restrictive et ne peuvent en aucun cas servir de prétexte à une divulgation plus large des informations relatives à la déclaration.
Afin d'encourager les déclarations de soupçon et de protéger les professionnels qui les effectuent, la loi prévoit des immunités spécifiques à l'article 57 de la loi du 18 septembre 2017.
"§ 1. La divulgation d'informations effectuée de bonne foi à la CTIF par une entité assujettie, par l'un de ses dirigeants, membres du personnel, agents ou distributeurs, ou par le Bâtonnier visé à l'article 52, ne constitue pas une violation d'une quelconque restriction à la divulgation d'informations imposée par un contrat ou par une disposition législative, réglementaire ou administrative et n'entraîne, pour l'entité assujettie concernée, ou pour ses dirigeants, membres du personnel, agents ou distributeurs, aucune responsabilité d'aucune sorte, civile, pénale ou disciplinaire, ni de mesure préjudiciable ou discriminatoire en matière d'emploi, même dans une situation où ils n'avaient pas une connaissance précise de l'activité criminelle sous-jacente et ce, indépendamment du fait qu'une activité illicite s'est effectivement produite."
Le déclarant ne peut pas être tenu civilement responsable des conséquences de sa déclaration, notamment :
La déclaration de soupçon effectuée de bonne foi ne peut entraîner aucune poursuite pénale à l'encontre du déclarant, notamment pour :
Le professionnel ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire de la part de son ordre professionnel pour avoir effectué une déclaration de soupçon de bonne foi.
La protection légale s'applique même si :
La seule condition est que la déclaration ait été effectuée "de bonne foi".
La bonne foi implique que :
L'article 59 de la loi du 18 septembre 2017 prévoit une protection spécifique contre les menaces, actes hostiles ou mesures préjudiciables ou discriminatoires qui pourraient viser les personnes ayant effectué une déclaration de soupçon.
"Lorsque la CTIF fait une communication au procureur du Roi, au procureur fédéral ou aux autorités visées à l'article 83, § 2, les déclarations de soupçons qu'elle a reçues des entités assujetties en application des articles 47, 54 et 66, § 2, alinéa 3, ne leur sont pas communiquées afin de préserver l'anonymat de leurs auteurs."
"Si les personnes visées à l'article 83, § 1er, sont citées à témoigner en justice, elles ne sont pas non plus autorisées à révéler l'identité des auteurs visés à l'alinéa 1er."
La loi établit :
Si un professionnel fait l'objet de menaces après avoir effectué une déclaration :
Les menaces ou tentatives d'intimidation visant un déclarant constituent une infraction pénale susceptible de poursuites.
Dans la pratique, les cas de menaces directes envers les déclarants sont rares, en raison notamment de la préservation stricte de l'anonymat assurée par la CTIF.
La CTIF met en place des mesures spécifiques pour préserver l'anonymat des déclarants lorsqu'elle transmet des informations aux autorités judiciaires ou à d'autres organismes.
Conformément à l'article 59 de la loi :
Dans la pratique, la CTIF effectue un travail de "blanchiment de l'information" en réalisant sa propre analyse et en recoupant les informations reçues avec d'autres sources, de sorte que les informations transmises aux autorités judiciaires ne permettent pas d'identifier la source de la déclaration initiale.
Dans certaines circonstances exceptionnelles, la protection de l'anonymat peut être levée :
Ces cas sont extrêmement rares et soumis à des procédures strictes visant à protéger autant que possible le déclarant.
Pour assurer une confidentialité effective des déclarations de soupçon, les cabinets comptables doivent mettre en place des mesures organisationnelles et techniques spécifiques.
Restreindre la connaissance des déclarations au strict minimum de personnes nécessaires (généralement l'AMLCO et le responsable au plus haut niveau).
Mettre en place une procédure claire et sécurisée pour la remontée des soupçons et la préparation des déclarations.
Conserver les copies des déclarations et les documents d'analyse dans un dossier sécurisé, distinct du dossier client ordinaire.
Sensibiliser régulièrement les collaborateurs à l'importance de la confidentialité et aux risques liés à une divulgation.
Pour protéger les informations relatives aux déclarations :
Tout en préservant la confidentialité, le cabinet doit :
La gestion de la relation avec un client après avoir effectué une déclaration de soupçon à son sujet est particulièrement délicate. Le professionnel doit naviguer entre plusieurs impératifs contradictoires :
Après une déclaration, le professionnel dispose de plusieurs options :
Option | Avantages | Inconvénients |
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Maintenir la relation sans changement |
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Mettre fin à la relation |
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Limiter progressivement la relation |
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La décision de maintenir ou non la relation doit être prise en fonction :
Si le professionnel décide de mettre fin à la relation, il peut invoquer :
Il faut absolument éviter d'invoquer des motifs liés à des soupçons de blanchiment ou des questions de conformité, qui pourraient indirectement révéler l'existence d'une déclaration.
En cas de poursuite de la relation :
Les études de cas suivantes illustrent comment appliquer concrètement les principes de confidentialité et de protection du déclarant dans différentes situations.
Situation : Un expert-comptable a effectué une déclaration de soupçon concernant des opérations inhabituelles d'un client. Suite à cette déclaration, il refuse de comptabiliser certaines opérations similaires. Le client insiste et demande les raisons de ce refus.
Approche incorrecte :
Approche correcte :
Analyse : Les réponses correctes évitent toute référence à une déclaration ou à des soupçons spécifiques, tout en justifiant le refus par des obligations générales ou des procédures internes.
Situation : L'AMLCO d'un cabinet comptable a effectué une déclaration concernant un client important dont le dossier est géré par plusieurs collaborateurs du cabinet. Il doit décider comment gérer la situation en interne.
Approche incorrecte :
Approche correcte :
Analyse : La communication doit être limitée au strict nécessaire et les informations partagées uniquement avec les personnes directement impliquées dans la gestion du dossier.
Situation : Plusieurs mois après une déclaration, un expert-comptable est contacté par un enquêteur de la police judiciaire qui l'interroge sur certaines opérations de son client.
Approche incorrecte :
Approche correcte :
Analyse : Le professionnel doit coopérer avec les autorités tout en maintenant la confidentialité de sa déclaration et de l'enquête, tant vis-à-vis du client que des tiers.
La confidentialité des déclarations de soupçon et la protection des déclarants constituent des éléments essentiels du dispositif anti-blanchiment. Ces principes garantissent à la fois l'efficacité du système de lutte contre le blanchiment et la sécurité des professionnels qui y participent.
La confidentialité n'est pas seulement une obligation légale, c'est aussi une garantie essentielle pour :
En respectant scrupuleusement ces principes de confidentialité, les experts-comptables et conseils fiscaux contribuent efficacement à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, tout en se protégeant contre d'éventuels risques.