Guide sur la Confidentialité et la Protection du Déclarant

Cadre légal et bonnes pratiques pour les comptables belges

Table des matières

1. Introduction

La déclaration de soupçon constitue un élément clé du dispositif anti-blanchiment en Belgique. Pour garantir l'efficacité de ce mécanisme et protéger les professionnels qui l'utilisent, le législateur a mis en place des dispositions spécifiques concernant la confidentialité des déclarations et la protection des déclarants.

Ce guide a pour objectif d'expliquer de manière claire et précise :

Point clé

La confidentialité d'une déclaration de soupçon est essentielle à plusieurs titres :

  • Elle protège l'efficacité des enquêtes en évitant que les personnes concernées ne soient alertées
  • Elle protège le déclarant contre d'éventuelles représailles
  • Elle préserve la relation de confiance entre le professionnel et ses autres clients

2. L'obligation légale de confidentialité

L'article 55 de la loi du 18 septembre 2017 établit une obligation stricte de confidentialité concernant les déclarations de soupçon adressées à la CTIF (Cellule de Traitement des Informations Financières).

Cette obligation s'applique à :

Portée de l'obligation de confidentialité

L'obligation de confidentialité couvre :

Attention

La violation de cette obligation de confidentialité est susceptible d'entraîner des sanctions administratives pouvant aller jusqu'à 1.250.000 euros pour les professionnels du chiffre.

3. L'interdiction d'informer le client

L'interdiction d'informer le client qu'une déclaration a été effectuée à son sujet est connue sous le terme de "tipping-off". Cette interdiction est absolue et ne souffre que de très rares exceptions.

Fondement de l'interdiction

Cette interdiction vise à :

Étendue de l'interdiction

L'interdiction s'étend à :

Point clé

Dans la pratique, cela signifie que le comptable doit maintenir une attitude normale vis-à-vis du client après avoir effectué une déclaration, sans changer de comportement d'une manière qui pourrait éveiller les soupçons du client.

Comportements à éviter Comportements recommandés
  • Cesser brusquement toute communication avec le client
  • Refuser subitement de traiter certaines opérations sans explication
  • Poser des questions inhabituelles et insistantes sur certaines transactions après la déclaration
  • Faire des allusions à une possible déclaration ou enquête
  • Maintenir les relations professionnelles habituelles
  • Si des informations supplémentaires sont nécessaires, les demander de manière naturelle
  • Justifier les éventuelles demandes de documents par des obligations légales générales
  • En cas de refus de poursuivre la relation d'affaires, invoquer des raisons de politique interne

4. Les exceptions à l'interdiction d'information

La loi du 18 septembre 2017 prévoit quelques exceptions limitées à l'interdiction d'informer le client, définies à l'article 56.

Exceptions pertinentes pour les comptables

Pour les experts-comptables et conseils fiscaux, les principales exceptions sont :

  1. Communication aux autorités de contrôle : Le comptable peut informer l'ITAA (Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux) de l'existence d'une déclaration.
  2. Communication au sein d'un même cabinet : Les professionnels exerçant au sein d'une même structure peuvent partager des informations sur les déclarations effectuées.
  3. Communication à des fins de dissuasion : L'article 57, § 2 permet de tenter de dissuader un client de participer à une activité illégale, sans pour autant révéler qu'une déclaration a été effectuée.

Point clé

Même dans le cadre de ces exceptions, la plus grande prudence reste de mise. L'information ne doit être partagée qu'avec les personnes qui ont un besoin légitime d'en connaître et uniquement dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de leurs obligations professionnelles.

Ces exceptions doivent être interprétées de manière restrictive et ne peuvent en aucun cas servir de prétexte à une divulgation plus large des informations relatives à la déclaration.

5. Les protections légales du déclarant

Afin d'encourager les déclarations de soupçon et de protéger les professionnels qui les effectuent, la loi prévoit des immunités spécifiques à l'article 57 de la loi du 18 septembre 2017.

Immunité civile

Le déclarant ne peut pas être tenu civilement responsable des conséquences de sa déclaration, notamment :

Immunité pénale

La déclaration de soupçon effectuée de bonne foi ne peut entraîner aucune poursuite pénale à l'encontre du déclarant, notamment pour :

Immunité disciplinaire

Le professionnel ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire de la part de son ordre professionnel pour avoir effectué une déclaration de soupçon de bonne foi.

Point clé

La protection légale s'applique même si :

  • Le déclarant n'avait pas une connaissance précise de l'activité criminelle sous-jacente
  • Il s'avère par la suite qu'aucune activité illicite n'a effectivement eu lieu

La seule condition est que la déclaration ait été effectuée "de bonne foi".

La notion de "bonne foi"

La bonne foi implique que :

6. La protection contre les menaces et actes hostiles

L'article 59 de la loi du 18 septembre 2017 prévoit une protection spécifique contre les menaces, actes hostiles ou mesures préjudiciables ou discriminatoires qui pourraient viser les personnes ayant effectué une déclaration de soupçon.

Mesures de protection

La loi établit :

Protection juridique en cas de menaces

Si un professionnel fait l'objet de menaces après avoir effectué une déclaration :

  1. Il doit signaler immédiatement ces menaces à la CTIF et à l'autorité de contrôle (ITAA pour les comptables)
  2. Il peut déposer plainte auprès des services de police
  3. Des mesures de protection spécifiques peuvent être mises en place

Attention

Les menaces ou tentatives d'intimidation visant un déclarant constituent une infraction pénale susceptible de poursuites.

Dans la pratique, les cas de menaces directes envers les déclarants sont rares, en raison notamment de la préservation stricte de l'anonymat assurée par la CTIF.

7. La préservation de l'anonymat

La CTIF met en place des mesures spécifiques pour préserver l'anonymat des déclarants lorsqu'elle transmet des informations aux autorités judiciaires ou à d'autres organismes.

Mesures de protection de l'identité

Conformément à l'article 59 de la loi :

Point clé

Dans la pratique, la CTIF effectue un travail de "blanchiment de l'information" en réalisant sa propre analyse et en recoupant les informations reçues avec d'autres sources, de sorte que les informations transmises aux autorités judiciaires ne permettent pas d'identifier la source de la déclaration initiale.

Exceptions à l'anonymat

Dans certaines circonstances exceptionnelles, la protection de l'anonymat peut être levée :

Ces cas sont extrêmement rares et soumis à des procédures strictes visant à protéger autant que possible le déclarant.

8. Les mesures pratiques au sein du cabinet

Pour assurer une confidentialité effective des déclarations de soupçon, les cabinets comptables doivent mettre en place des mesures organisationnelles et techniques spécifiques.

Organisation interne

  1. Limiter l'accès à l'information

    Restreindre la connaissance des déclarations au strict minimum de personnes nécessaires (généralement l'AMLCO et le responsable au plus haut niveau).

  2. Établir une procédure interne de déclaration

    Mettre en place une procédure claire et sécurisée pour la remontée des soupçons et la préparation des déclarations.

  3. Créer un dossier sécurisé

    Conserver les copies des déclarations et les documents d'analyse dans un dossier sécurisé, distinct du dossier client ordinaire.

  4. Former le personnel

    Sensibiliser régulièrement les collaborateurs à l'importance de la confidentialité et aux risques liés à une divulgation.

Mesures de sécurité techniques

Pour protéger les informations relatives aux déclarations :

Bonnes pratiques de communication

  • Éviter de discuter des déclarations dans les espaces publics ou partagés du cabinet
  • Ne pas mentionner les déclarations lors des réunions d'équipe générales
  • N'utiliser que des canaux de communication sécurisés pour échanger sur les déclarations
  • Éviter d'envoyer des informations sensibles par email non crypté
  • Utiliser des termes codés ou neutres en cas de discussion nécessaire

Documentation et traçabilité

Tout en préservant la confidentialité, le cabinet doit :

9. La gestion de la relation client après une déclaration

La gestion de la relation avec un client après avoir effectué une déclaration de soupçon à son sujet est particulièrement délicate. Le professionnel doit naviguer entre plusieurs impératifs contradictoires :

Options pour la poursuite de la relation

Après une déclaration, le professionnel dispose de plusieurs options :

Option Avantages Inconvénients
Maintenir la relation sans changement
  • Ne risque pas d'éveiller les soupçons du client
  • Permet de continuer à recueillir des informations
  • Exposition potentielle à des risques de complicité si continuité d'opérations suspectes
  • Obligation de vigilance accrue
Mettre fin à la relation
  • Limite les risques pour le professionnel
  • Évite d'être impliqué dans d'autres opérations suspectes
  • Peut alerter le client si fait de manière abrupte
  • Nécessite de trouver un motif plausible
Limiter progressivement la relation
  • Approche équilibrée
  • Moins susceptible d'éveiller les soupçons
  • Requiert du temps et de la subtilité
  • Risque de questions du client sur le changement d'attitude

Point clé

La décision de maintenir ou non la relation doit être prise en fonction :

  • De la gravité des soupçons
  • Du risque que représente le client
  • Des instructions éventuelles reçues de la CTIF
  • De la capacité du cabinet à gérer le risque

Motifs à invoquer en cas de rupture de la relation

Si le professionnel décide de mettre fin à la relation, il peut invoquer :

Attention

Il faut absolument éviter d'invoquer des motifs liés à des soupçons de blanchiment ou des questions de conformité, qui pourraient indirectement révéler l'existence d'une déclaration.

Communication avec le client

En cas de poursuite de la relation :

10. Études de cas

Les études de cas suivantes illustrent comment appliquer concrètement les principes de confidentialité et de protection du déclarant dans différentes situations.

Cas 1 : Gestion d'un client qui pose des questions sur une opération refusée

Situation : Un expert-comptable a effectué une déclaration de soupçon concernant des opérations inhabituelles d'un client. Suite à cette déclaration, il refuse de comptabiliser certaines opérations similaires. Le client insiste et demande les raisons de ce refus.

Approche incorrecte :

  • "Je ne peux pas traiter cette opération car elle me semble suspecte."
  • "Cette opération pourrait m'obliger à faire un signalement aux autorités."
  • "Je préfère ne pas m'impliquer dans des opérations qui pourraient être liées au blanchiment d'argent."

Approche correcte :

  • "Je suis tenu de respecter certaines obligations professionnelles qui m'imposent de vérifier la conformité des opérations."
  • "Cette opération nécessite des justificatifs supplémentaires pour que je puisse la traiter conformément à mes obligations légales."
  • "Notre cabinet a mis en place des procédures internes strictes concernant certains types d'opérations."

Analyse : Les réponses correctes évitent toute référence à une déclaration ou à des soupçons spécifiques, tout en justifiant le refus par des obligations générales ou des procédures internes.

Cas 2 : Communication interne au sein du cabinet

Situation : L'AMLCO d'un cabinet comptable a effectué une déclaration concernant un client important dont le dossier est géré par plusieurs collaborateurs du cabinet. Il doit décider comment gérer la situation en interne.

Approche incorrecte :

  • Envoyer un email à toute l'équipe mentionnant qu'une déclaration a été faite
  • Discuter de la déclaration lors d'une réunion d'équipe générale
  • Laisser des documents relatifs à la déclaration dans des espaces partagés

Approche correcte :

  • Informer uniquement les personnes qui ont absolument besoin de savoir
  • Organiser une réunion confidentielle avec les collaborateurs concernés
  • Donner des instructions précises sur la vigilance accrue sans mentionner la déclaration
  • Utiliser un système de classification des documents pour protéger les informations sensibles

Analyse : La communication doit être limitée au strict nécessaire et les informations partagées uniquement avec les personnes directement impliquées dans la gestion du dossier.

Cas 3 : Gestion d'une enquête ultérieure

Situation : Plusieurs mois après une déclaration, un expert-comptable est contacté par un enquêteur de la police judiciaire qui l'interroge sur certaines opérations de son client.

Approche incorrecte :

  • Mentionner spontanément au policier qu'une déclaration de soupçon a été effectuée
  • Informer le client de l'enquête en cours
  • Refuser de coopérer avec l'enquêteur en invoquant le secret professionnel

Approche correcte :

  • Vérifier l'identité et les pouvoirs de l'enquêteur
  • Coopérer en fournissant les informations demandées dans le cadre légal
  • Ne pas mentionner l'existence d'une déclaration antérieure, sauf question directe
  • Documenter l'entretien et les informations fournies
  • Maintenir la confidentialité vis-à-vis du client concernant cette enquête

Analyse : Le professionnel doit coopérer avec les autorités tout en maintenant la confidentialité de sa déclaration et de l'enquête, tant vis-à-vis du client que des tiers.

11. Conclusion

La confidentialité des déclarations de soupçon et la protection des déclarants constituent des éléments essentiels du dispositif anti-blanchiment. Ces principes garantissent à la fois l'efficacité du système de lutte contre le blanchiment et la sécurité des professionnels qui y participent.

Points clés à retenir

Point clé

La confidentialité n'est pas seulement une obligation légale, c'est aussi une garantie essentielle pour :

  • Protéger le professionnel
  • Maintenir l'intégrité du système de lutte contre le blanchiment
  • Préserver la confiance dans la profession

En respectant scrupuleusement ces principes de confidentialité, les experts-comptables et conseils fiscaux contribuent efficacement à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, tout en se protégeant contre d'éventuels risques.