Cette étude de cas illustre l'application pratique des obligations anti-blanchiment au sein d'un cabinet comptable belge fictif, mais réaliste. Elle présente la mise en place progressive d'un dispositif conforme, les défis rencontrés et les solutions adoptées face à diverses situations clients.
Comptafid SA est un cabinet d'expertise comptable et fiscale de taille moyenne situé à Bruxelles, fondé en 2005. Le cabinet compte:
Le cabinet propose des services de tenue de comptabilité, conseil fiscal, établissement des comptes annuels, secrétariat social et conseil en gestion d'entreprise.
Répartition sectorielle:
Situation initiale (début 2018)
Avant la mise en conformité, le cabinet disposait d'une approche basique concernant les obligations anti-blanchiment:
Suite à la publication de la loi du 18 septembre 2017 et de la norme de l'ITAA du 31 mars 2020, les associés prennent conscience de la nécessité de se mettre en conformité.
Extrait du procès-verbal de la réunion des associés (30/01/2018)
"Point 3 - Conformité anti-blanchiment: Suite à la nouvelle législation, le cabinet doit réviser en profondeur ses procédures. Michel Durand propose de coordonner ce projet et de présenter un plan d'action lors de la prochaine réunion. Cette proposition est acceptée à l'unanimité."
L'associé désigné réalise un audit interne pour évaluer l'écart entre les pratiques actuelles et les exigences légales.
Principales lacunes identifiées:
Plan d'action établi:
Le cabinet désigne formellement les responsables et définit la structure organisationnelle du dispositif anti-blanchiment.
Extrait de la désignation formelle
Par la présente, le cabinet Comptafid SA désigne:
- M. Pierre Lejeune, expert-comptable associé, comme personne responsable au plus haut niveau
- Mme Sophie Dubois, expert-comptable associée, comme AMLCO (Anti-Money Laundering Compliance Officer)
Responsabilités définies:
Les associés suivent une formation approfondie et développent les principales procédures du dispositif.
Formation suivie:
Premières procédures développées:
L'AMLCO réalise l'évaluation globale des risques du cabinet, conformément à l'article 16 de la loi.
Facteur de risque | Niveau de risque | Justification |
---|---|---|
Clients - Secteur Horeca | Élevé | Secteur à forte utilisation d'espèces, risque accru de fraude fiscale grave |
Clients - Immobilier | Élevé | Transactions de valeur élevée, risque de structures complexes |
Clients - Professions libérales | Moyen | Risque variable selon la profession et la clientèle |
Clients - Commerce de détail | Moyen | Utilisation potentielle d'espèces, dépend du type de commerce |
Services - Conseil fiscal | Moyen | Risque d'utilisation pour montages fiscaux agressifs |
Note: Le cabinet a défini 3 catégories de risques (faible, moyen, élevé) et analysé 15 facteurs de risque au total.
Organisation de sessions de formation pour tous les collaborateurs et début de la mise à jour des dossiers clients existants.
Programme de formation:
Stratégie de mise à jour des dossiers:
Déploiement complet du dispositif, création des outils complémentaires et premiers ajustements.
État d'avancement à fin 2018:
"La mise en œuvre du dispositif a représenté un investissement significatif mais nécessaire. Nous constatons déjà une meilleure maîtrise des risques et une sensibilisation accrue des équipes. Des ajustements seront encore nécessaires en 2019, notamment pour renforcer la vigilance continue et améliorer l'efficacité des contrôles."
Cette section présente plusieurs cas concrets illustrant l'application du dispositif anti-blanchiment à différents types de clients et situations.
En mars 2019, lors de la tenue trimestrielle de la comptabilité, le collaborateur comptable en charge du dossier constate une augmentation importante du chiffre d'affaires (+40% par rapport au même trimestre de l'année précédente) sans augmentation proportionnelle des achats. De plus, les versements en espèces sur le compte professionnel sont devenus très fréquents.
1. Détection d'opérations atypiques
Le collaborateur a identifié plusieurs indicateurs d'alerte:
Client: La Belle Époque SPRL
Date du signalement: 15/04/2019
Collaborateur: Julien Maes
Motif du signalement: Augmentation suspecte du CA et nombreux versements en espèces
Description de l'anomalie:
Pour le trimestre T1 2019, le CA s'élève à 145.000€ contre 103.000€ au T1 2018 (+40%). Les achats ont augmenté de seulement 15%. 12 versements en espèces ont été effectués pour un total de 35.000€ alors que la moyenne était de 3-4 versements par trimestre auparavant.
2. Analyse approfondie par l'AMLCO
L'AMLCO a procédé à une analyse approfondie:
3. Communication avec le client
Une réunion est organisée avec les deux associés pour comprendre les changements d'activité. Les explications fournies:
4. Vérifications complémentaires
L'AMLCO a procédé à des vérifications supplémentaires:
5. Conclusion et décision
Après analyse complète, l'AMLCO constate:
Décision: Mise sous surveillance renforcée et demande de documentation supplémentaire
Lors de l'entrée en relation, la société se présente comme une structure d'investissement détenue par plusieurs investisseurs internationaux souhaitant développer un portefeuille immobilier en Belgique. Le représentant indique que le financement provient d'investisseurs privés basés principalement en Europe de l'Est et au Moyen-Orient, via une structure holding luxembourgeoise.
1. Identification et vérification renforcées
En raison du niveau de risque élevé, le cabinet a appliqué des mesures d'identification renforcées:
Nom | Nationalité | % contrôle | Type de contrôle | Statut PPE | Documents fournis |
---|---|---|---|---|---|
Viktor Petrov | Russe | 35% | Indirect via holding | Oui - Ancien ministre | Passeport, justificatif de domicile |
Mohammed Al-Farsi | Émirati | 25% | Indirect via holding | Non | Passeport, justificatif de domicile |
Jean Dubois | Belge | 20% | Direct et indirect | Non | Carte d'identité |
Investisseurs divers <5% | Divers | 20% | Indirect via holding | Non applicable | Attestation du gérant de la holding |
2. Découverte d'une PPE et mesures supplémentaires
L'identification a révélé qu'un des bénéficiaires effectifs était une personne politiquement exposée (PPE). Conformément à l'article 41 de la loi, des mesures renforcées ont été appliquées:
3. Vérification de l'origine des fonds
Une attention particulière a été portée à la vérification de l'origine des fonds:
4. Situation problématique identifiée
Lors des vérifications, plusieurs éléments problématiques ont été identifiés:
5. Conclusion et décision
Après analyse complète et discussion entre l'AMLCO et le responsable au plus haut niveau:
Décision: Refus d'entrer en relation d'affaires et déclaration de soupçon à la CTIF
"Après examen des éléments recueillis, l'AMLCO et le responsable au plus haut niveau considèrent que les risques liés à cette entrée en relation sont trop élevés pour être acceptés dans le cadre de notre politique d'acceptation des clients. Les éléments suivants justifient cette décision: la présence d'une PPE russe avec des soupçons médiatisés de corruption, l'impossibilité d'obtenir une documentation satisfaisante sur l'origine des fonds, la complexité inutile de la structure, et le manque de transparence concernant certaines activités de la holding luxembourgeoise. Conformément à l'article 33 § 1 de la loi du 18 septembre 2017, nous refusons d'établir cette relation d'affaires. Par ailleurs, les éléments recueillis constituent des soupçons raisonnables de blanchiment de capitaux justifiant une déclaration à la CTIF."
En août 2019, lors de la vérification des pièces comptables, le collaborateur remarque que la société a commencé à facturer des "services de conseil technique" à plusieurs sociétés basées dans des pays baltes, alors que son activité principale est l'importation et la distribution d'équipements. Ces facturations représentent environ 15% du chiffre d'affaires trimestriel et ne correspondent pas au modèle d'affaires connu du client.
1. Détection de l'opération atypique
Le collaborateur a identifié plusieurs éléments inhabituels:
2. Signalement interne et analyse par l'AMLCO
L'opération a été signalée à l'AMLCO qui a procédé aux vérifications suivantes:
Anomalies identifiées:
3. Demande d'informations auprès du client
L'AMLCO a organisé une réunion avec le gérant de TechTrade pour obtenir des explications:
4. Investigations complémentaires
Suite aux explications, des vérifications supplémentaires ont été menées:
5. Conclusion et décision
Après analyse complète et face au manque de justifications satisfaisantes:
Décision: Déclaration de soupçon à la CTIF et réévaluation du niveau de risque du client
Motifs de suspicion:
"Ces éléments nous amènent à suspecter un possible système de fausse facturation permettant soit de justifier des entrées de fonds d'origine inconnue, soit de transférer des fonds vers des juridictions moins transparentes. Le montant total concerné sur les 6 derniers mois s'élève à environ 90.000 euros."
Lors de la mise à jour obligatoire du dossier client en 2019 (dans le cadre de la vigilance périodique), le cabinet d'avocats a informé qu'il avait développé une nouvelle activité de conseil auprès d'une clientèle internationale et nommé un nouvel associé spécialisé dans ce domaine. Ce changement implique une modification de l'activité et potentiellement du profil de risque du client.
1. Actualisation des informations client
Conformément à l'article 35 de la loi, une mise à jour des informations a été effectuée:
Évolution de l'activité:
"Notre cabinet a recruté un nouvel associé spécialisé en droit international des affaires, Me Zhang, précédemment en poste dans un cabinet international à Hong Kong. Nous développons désormais une activité de conseil juridique pour des entreprises asiatiques souhaitant investir en Europe, et des entreprises européennes s'implantant en Asie, principalement en Chine, Singapour et Hong Kong. Cette nouvelle activité représente environ 20% de notre chiffre d'affaires actuel et devrait se développer dans les prochaines années."
2. Réévaluation du niveau de risque
Suite à ces changements, l'AMLCO a procédé à une réévaluation du risque:
3. Investigation sur le nouvel associé
Une vigilance particulière a été portée au nouvel associé:
4. Ajustement des mesures de vigilance
Suite à la réévaluation, plusieurs mesures ont été mises en place:
5. Conclusion et décision
Après analyse complète:
Décision: Modification du niveau de risque de faible à moyen et adaptation des mesures de vigilance en conséquence
Classification initiale:
Nouvelle classification:
"Cette réévaluation est principalement motivée par l'extension des activités vers une clientèle internationale, notamment en provenance de juridictions présentant un risque accru. Bien que le client soit lui-même soumis aux obligations anti-blanchiment et présente un historique de conformité rassurant, le principe de précaution justifie un niveau de vigilance plus élevé. Cette décision a été communiquée au gestionnaire du dossier pour mise en application immédiate."
Au-delà des cas spécifiques présentés, le cabinet Comptafid a rencontré plusieurs défis systémiques dans la mise en œuvre de son dispositif anti-blanchiment. Cette section présente les principaux défis et les solutions développées.
La mise en place du dispositif anti-blanchiment a initialement suscité des réticences au sein de l'équipe:
La mise en conformité a nécessité des ressources importantes:
Le cabinet a dû trouver le juste équilibre entre obligations légales et relation client:
La gestion des documents et informations sensibles a posé plusieurs défis:
Au-delà de la conformité légale, la mise en place du dispositif anti-blanchiment a généré plusieurs avantages organisationnels:
Le processus d'identification approfondie a permis de mieux comprendre l'activité, la structure et les enjeux des clients, améliorant ainsi la pertinence des conseils prodigués.
La formalisation des procédures d'acceptation et de suivi des clients a contribué à une approche plus structurée et cohérente au sein du cabinet.
La vigilance accrue a permis d'identifier des situations à risque au-delà du blanchiment (fraudes, irrégularités) et de mieux protéger la responsabilité professionnelle du cabinet.
L'expérience de Comptafid SA illustre le parcours d'un cabinet comptable dans la mise en place d'un dispositif anti-blanchiment efficace. Ce processus, bien qu'exigeant en ressources et en adaptation, a permis au cabinet de:
Au-delà de la conformité, le cabinet a intégré ces obligations comme partie intégrante de sa démarche qualité et de son positionnement professionnel.